Cociter – de l’électricité locale et durable (Imagine Demain le monde)
Article paru dans Imagine Demain le monde (http://www.imagine-magazine.com/).
N° 117 SEPTEMBRE / OCTOBRE 2016
«C’ est fantastique, ça y est, on produit de l’électricité ! Mais c’est quand même un peu bête de devoir toujours acheter notre énergie à Electrabel, Lampiris ou une autre grosse entreprise privée. »
Cette réflexion, nombreux sont les membres de coopératives citoyennes qui se la sont faite. Car l’électricité produite par les éoliennes, panneaux solaires ou centrales à biomasse qu’ils ont contribué à installer par leurs investissements est injectée dans le réseau et achetée par des fournisseurs autres, pas toujours très citoyens… Frustrant !
« Tirer des lignes électriques vers chacun de nos coopérateurs n’était évidemment pas possible, sourit Mario Heukemes, fondateur de la coopérative Courant d’air (lire ci-contre). La seule solution était donc de devenir à notre tour fournisseur. »
Avec une autre coopérative, Clef, puis bientôt avec Ferreole (voir ci-contre), Lucéole, HesbEnergie, Vents du Sud, Nosse Moulin et Champs d’énergie, tous membres de la fédération Rescoop, ils ont décidé de se lancer dans l’aventure. Ce sera Cociter, nouveau fournisseur wallon, d’énergie exclusivement locale et renouvelable !
« C’est un métier compliqué, très balisé, explique le fondateur, nous étions sans expérience et sommes partis d’une page blanche. »
Pendant quatre ans, des bénévoles vont ainsi plancher sur le sujet pour comprendre comment le système fonctionne, quels outils sont nécessaires ou comment « assurer l’équilibrage du réseau ».
En 2015, Cociter est fin prêt et se lance sur le marché wallon. Et fait à présent son entrée dans le classement Greenpeace des fournisseurs et dans le comparateur de la Commission wallonne pour l’énergie.
Donner de l’ampleur au mouvement
« Nous reprenons l’énergie sur le réseau pour la revendre à prix coûtant, mais pas seulement, développe Mario Heukemes. Car l’enjeu de la réappropriation citoyenne des énergies est très fort. Il suffit de se souvenir du débat sur le black out il y a quelque temps et du travail énorme de lobbying mis alors en œuvre par les pronucléaires pour démontrer que les centrales atomiques étaient indispensables… »
Permettre au citoyen de se réapproprier ce savoir, de se forger un avis, transmettre une information différente aux cabinets politiques, c’est aussi cela le rôle que veut jouer Cociter.
« Les décisions dans ce domaine auront des conséquences pendant des décennies ! »
Lorsqu’un fournisseur se présente comme « vert » en allant acheter des « labels de garantie d’origine » au Danemark ou en Islande où ils sont à très bas prix, il n’incite pas à la production locale chez nous et n’aide aucunement la transition énergétique.
« Notre combat c’est de rendre cette transition énergétique nécessaire la plus accessible à tous, poursuit Mario Heukemes.
Que l’énergie verte ne soit pas réservée à un club de militants. »
Cociter, qui rassemble à présent les 8 000 membres de ses coopératives, est ainsi à la recherche d’une formule permettant à tout un chacun de devenir coopérateur, même lorsqu’on a peu de moyens – une part dans l’une des coopératives citoyennes se montant à 250 euros.
« On pourrait imaginer des parrains, pour des personnes qui prendraient des parts en payant 5 euros par mois par exemple. Il faut trouver des solutions. Nous voulons rassembler, que ce mouvement citoyenprenne de l’ampleur. C’est un vrai enjeu de développement local durable. » — L.d.H.
- www.rescoop-wallonie.be, rescoop.eu
- www.greenpeace.org/belgium/fr/electricite-verte
- www.compacwape.be
- Cociter est ouvert à tous les consommateurs wallons, mais ceux qui sont ou deviennent coopérateurs de l’une des coopératives membres ont droit à des tarifs plus intéressants.
- Ces labels sont reçus par les producteurs d’énergie verte qui injectent celle-ci dans le réseau européen. ils peuvent être rachetés par n’importe quel fournisseur.
« Ne pas laisser tout le pouvoir aux multinationales »
En 2011, Electrabel organise une réunion d’information à Ferrières pour présenter son projet qui consiste à implanter quatre éoliennes sur le territoire de la commune.
« Il y a eu beaucoup de questions, se souviennent Bernadette Hoste et Jean-François cornet, deux des fondateurs de Ferréole, et nombreux étaient les citoyens qui se demandaient ce qu’ils devenaient là-dedans. Nous nous sentions un peu comme les habitants des pays du Sud auxquels les Occidentaux prennent leurs richesses et qui n’y gagnent rien. »
Les habitants décident alors de former une association avec pour objectif de garder une part du projet pour les citoyens – une éolienne sur les quatre prévues.
« Nous ne voulions pas tout laisser aux mains des experts et des multinationales. Nous devions récupérer une partie au moins de ce pouvoir. »
Ferréole tente d’inciter la commune à se porter candidate également, mais celle-ci reste frileuse. Et du côté du promoteur, les réponses sont floues – notamment sur le prix du permis à racheter, élément évidemment essentiel du projet.
Une coopérative, qui réunit bientôt 150 personnes, est fondée et lance les négociations également sur trois autres projets à Durbuy, Aywaille et Aywaille-Stoumont.
« Lors du changement de majorité en 2014, un moratoire de fait est imposé sur l’éolien en Région wallonne. Conséquences : le projet de Ferrières est refusé fin 2014 et deux des trois autres projets repoussés au début 2015. Celui d’Aywaille-Stoumont en est à l’étude d’incidence… »
Malgré tous ces écueils, la coopérative continue et ses 188 membres ne se découragent pas.
« C’est un projet proche des gens, qui nous concerne tous. Et tôt ou tard la Wallonie va devoir débloquer la situation. »
En attendant, les coopératives citoyennes coopèrent… entre elles : en fondant Cociter bien sûr, mais aussi en se partageant à trois (Lucéole, Vents du Sud, Ferréole) l’éolienne que possède à présent Vents du Sud à Autelbas (arlon). Et en se battant ensemble pour que la participation citoyenne de 25 % dans tous les projets wallons, aujourd’hui dans le cadre éolien non contraignant de la région, devienne demain une obligation. —
en savoir +
www.ferreole.be
« Avoir son mot à dire sur la qualité du projet »
«Au départ, c’est le défi technique qui nous attirait, raconte Mario Heukemes, l’un des fondateurs de la coopérative Courant d’air. Nous étions en 2004, les coopératives citoyennes étaient encore très peu développées. »
Au cours des premières réunions organisées dans la région autour de Waimes (Liège), le public marque rapidement son intérêt. après avoir rencontré un peu par hasard les responsables de la coopérative flamande Ecopower, et convaincus par leur modèle, les fondateurs de Courant d’air décident de se lancer.
« Nous avons introduit la demande de permis pour deux éoliennes. Dès l’obtention de celles-ci, nous avons créé la coopérative. 1 300 membres ont très vite répondu présent. »
Des investisseurs aux motivations variées : certains connaissent les fondateurs, d’autres sont des militants écologistes, d’autres encore cherchent à réaliser des investissements éthiques.
Au début, le nombre de parts par personne était souvent de trois, mais avec le temps et la confiance, la moyenne tourne autour de huit aujourd’hui.
« Dès que les mâts sont sortis de terre, nous avons vu un pic dans les inscriptions, comme chaque fois que quelque chose se passe sur le terrain. »
A l’époque, les opposants au projet sont rares. Il s’agit surtout de voisins très proches des éoliennes, inquiets des incidences sur leur vie quotidienne.
« Le fait d’être une coopérative citoyenne permet justement aux gens d’avoir leur mot à dire sur la qualité du projet, contrairement à ceux qui sont menés par le privé. Nous avons par exemple choisi les éoliennes les moins bruyantes du marché, pas les moins chères. Lors de leur réception, nous avons été déçus par le niveau de bruit, et fait pression sur le constructeur qui a du coup amélioré nettement les choses in situ. »
Le premier projet de Waimes coûtera 1,2 million. Le second, une éolienne installée à Walhain en partenariat avec Nosse Moulin et Vents d’Houyet, nécessitera un investissement d’un million d’euros.
Nous sommes une coopérative ouverte, c’est-à-dire que les investissements ne sont pas limités strictement aux mâts. Nous assurons aussi une mission sociale, avec un gros travail de sensibilisation dans les écoles et pour le grand public, mais également par le biais d’un soutien à Cap Terre, une entreprise de
formation en maraîchage, rénovation et parcs et jardins, ou par des dons à une centrale de covoiturage. »
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www.courantdair.be